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Il convient de s'entendre sur la signification des termes sur lesquels repose l'ensemble du Projet. 1. Idiome En mars 1993, le Conseil des langues régionales endogènes de la Communauté française a adopté (avis n°2) une notice terminologique rédigée par le Professeur Willy BAL, membre et collaborateur éminent de l' U.C.W. En cette matière, le Projet se réfère à ce document. A PROPOS DES "LANGUES REGIONALES" Notice terminologique La linguistique, comme toute autre science ou technique, a sa terminologie propre. Celle-ci se trouve décrite dans des dictionnaires spécialisés. Nous limitant aux ouvrages récents, de langue française, nous ferons, dans cette notice, référence aux dictionnaires suivants: - DL: Georges Mounin (sous la direction de), Dictionnaire de la linguistique, Paris, 1974. - DLL: Jean Dubois et alii, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1973. -Pottier: Bernard Pottier (sous la direction de), Le Langage, Paris, 1973. Les non-spécialistes se référant généralement à un simple dictionnaire d'usage courant, nous renverrons aussi à l'ouvrage ci-dessous. - PR: Le Petit Robert, Paris (la pagination renvoie à l'édition de 1969). Terme très général, neutre, il peut, comme le note DLL 250, être tenu pour un synonyme de "langue". Il suffit pour s'en convaincre de comparer les définitions d' "idiome" et de "langue" dans PR, respectivement 865 et 972. Idiome. Ling. Ensemble des moyens d'expression d'une communauté correspondant à un mode de pensée spécifique. Langue. Ling. Système d'expression du mental et de communication, commun à un groupe social (communauté linguistique). 2.1. L'usage courant, qui prévaut chez les non-spécialistes et est propre à notre société industrialisée, avec sa longue tradition d'écriture, d'enseignement, d'institutionnalisation, réserve le plus souvent le terme "langue" à des idiomes qui, tels le français, l'anglais, etc., comprennent, au sein de la variation inhérente à toute pratique langagière, une variété dite standard relativement unifiée et codifiée. Celle-ci est décrite dans des ouvrages normatifs (grammaires, dictionnaires, traités de prononciation). Elle est reconnue par le Pouvoir comme langue officielle et/ou nationale. Elle est employée dans les affaires publiques, dans l'enseignement, dans la plupart des productions écrites, dans les productions orales formelles : elle prédomine largement dans les médias. Elle jouit d'un prestige social, culturel, littéraire. De toute évidence, pareille conception exclut du rang des "langues" l'immense majorité des trois à quatre mille idiomes pratiqués dans le monde. On remarquera d'ailleurs que la définition donnée par un dictionnaire d'usage, PR 972, ne fait état d'aucun de ces traits. On observera d'autre part que les critères restent flous. 2.2. Définition du terme "langue" en linguistique. "Tout système de signes vocaux doublement articulés, propre à une communauté humaine donnée. En linguistique, l'allemand littéraire, l'allemand de Souable, l'alsacien, le breton, le créole de la Guadeloupe sont des langues au même titre". (DL 196-197). On attire l'attention sur l'expression "signes vocaux" : l'écriture n'est qu'un épiphénomène du langage oral. 2.3. Langue régionale. L'expression est courante dans les travaux récents de linguistique. On la rencontre, entre autres, sous la plume d'Henriette Walter, dans Le français dans tous les sens (Paris, 1988, particulièrement dans la section 2, pp. 127-154). En 1988, un colloque sur le thème "Les Français et leurs langues" (Actes édités sous ce titre par les Publications de l'Université de Provence, 1991) a réuni une bonne trentaine de linguistes francophones. Dans son avant-propos, le romaniste Jean-Claude Bouvier, professeur à ladite Université, justifie ainsi le pluriel du mot "langue" employé dans le libellé du titre :"(...) les langues dites "régionales" existent encore avec des formes diverses à peu près sur toute l'étendue du territoire (français)" (p.4). 2.4. Langue endogène. Passant des sciences naturelles aux sciences humaines, entre autres à la linguistique, l'adjectif "endogène" a perdu de sa rigueur sémantique originelle. On sait qu'à proprement parler une langue ne naît pas. On sait aussi que les langues suivent les migrations des peuples qui les parlent. Le Latin, comme on le sait, s'est établi dans nos territoires à la suite des conquêtes romaines, le francique a suivi les migrations de populations germaniques. "Langues endogènes" : l'expression signifie qu'à partir de cette phase dite d'implantation, les langues issues du latin ou du francique ont évolué, se sont formées, individualisées sur place, dans leur aire d'emploi actuel, où elles continuent une tradition multiséculaire. 2.5. Langue vernaculaire. Cette expression, contrairement à ce qui se passe entre autres dans le domaine italien, est assez rarement employée dans la littérature scientifique française. Elle n'est enregistrée par aucun de trois dictionnaires spécialisés cités ci-dessus. En revanche, elle se trouve dans PR 1890: "Didactique : du pays, propre au pays. Langue vernaculaire - dialecte". Le mot "vernaculaire" remonte à l'adjectif latin vernaculus, dérivé lui-même du substantif verna et qui est pris dans deux acceptions :1) relatif aux esclaves nés dans la maison du maître; 2) qui est du pays, indigène, national. Quand Varron écrit vocabula vernacula " les mots de la langue nationale" ou Cicéron vernaculus sapor "la saveur du terroir", il n'y a rien de dépréciatif dans leurs expressions ! Quand on rencontre le mot "vernaculaire" dans des travaux de linguistique ou plus souvent de sociolinguistique rédigés en français, il se trouve généralement mis en opposition avec "véhiculaire". Dans une première acception, "langue véhiculaire" s'applique à une langue employée, le plus souvent sous une forme simplifiée, pour l'intercommunication nécessaire aux transactions commerciales, surtout dans les pays exotiques, d'où le synonyme "langue de traite" (angl. trade language). Exemples: le portugais sur les côtes d'Afrique du XVe au XVIIIe siècle; le swahili dans l'Est africain, etc. A l'heure actuelle, l'anglo-américain sert de langue véhiculaire à l'échelle du monde, surtout dans certaines activités, techniques et sciences (aviation, marine, informatique, physique, etc.). Le DLL 507 note qu' "une langue officielle est aussi une langue véhiculaire, si les interlocuteurs ont également des dialectes ou des langues différentes" et cite comme exemple le cas du français en France dans des échanges entre Corses, Bretons, Alsaciens, Flamands. De toute façon, le couple "véhiculaire ou "vernaculaire" ne touche en rien à la nature intrinsèque des idiomes en présence. Une langue vernaculaire sert à la communication d'une aire ou d'un groupe déterminé (on dit aussi "langue ethnique") tandis qu'une langue véhiculaire s'emploie pour la communication supralocale ou entre plusieurs groupes de langue différente. Ce qui est en cause, c'est donc l'extension quantitative de la communication. 3.1. Significations étymologiques et anciennes. Ce mot savant est tiré du latin dialectus, lui-même emprunté au grec dialektos. Sa signification étymologique première est "conversation, discussion" (comparer dialogos), puis "langue" (IIe s. av. J.-C.) et plus précisément "langue d'un peuple déterminé". Le mot grec est passé à Rome avec une signification particulière postaristotélicienne, due, semble-t-il, aux Stoïciens, de "langue locale élevée à une importance littéraire", souvent avec une spécialisation conventionnelle dans les genres littéraires, le dialecte ionien étant considéré comme propre au genre épique et à la poésie didactique, l'éolien à la lyrique monodique, le dorien à la lyrique chorale, etc. Cependant, des grammairiens latins continuent à employer le mot dans un sens plus large, celui de "langue". Cet usage continua chez les grammairiens occidentaux qui reprirent le mot savant et cela jusqu'au XVIIe siècle. Il fallut attendre la charnière de ce siècle et du siècle suivant pour le sens du mot subît une restriction et que s'établît en Italie une distinction entre la langue commune et le dialecte local, distinction apparue plus tôt en France, chez Ronsard en 1550 : dialecte = langage régional. (cfr Manlio Cortelazzo, Avviamento critico allo studio della dialettologia italiana, Pise, 1969, pp. 9-13). 3.2. Significations actuelles. Dans l'usage scientifique actuel, ce terme a plusieurs acceptions. a) Sens général, dit "américain" parce que trouvant son origine dans l'usage des linguistes américains : toute diversification géographique d'une langue. Par exemple, le français de Liège, l'espagnol du Cuba, etc. Nous le noterons DIALECTE 1. L'aspect spatial est parfois partiellement ou entièrement laissé de côté, notamment au profit d'un aspect social : "dialecte social". Nous le noterons DIALECTE 1 bis. Par exemple, aux Etats-Unis, le black-english, dans le sud-est urbain de l'Angleterre, le cockney. Le français standard peut être considéré comme un des dialectes du français (cfr World Language Register, 1990, p.11). Dans l'usage français, pour désigner les DIALECTES 1, on emploi plutôt l'adjectif "régional" : le français régional de Wallonie, de Bourgogne, du Québec, etc. Pour clarifier la terminologie, il serait utile de généraliser pour ceux-ci l'emploi du terme technique " régiolecte (synonyme "topolecte"). Quant aux "dialectes 1 bis", le terme approprié est "sociolecte". b) DIALECTE 2: dialecte au sens européen. C'est le produit de la diversification d'un état de langue très ancien, tenu pour relativement homogène et qui s'est segmenté dans l'espace au cours du temps. Ce processus spatio-temporel s'inscrit dans la visée diachronique traditionnelle de la linguistique européenne. Historiquement, par exemple, le latin est un dialecte du sous-groupe occidental du groupe italique de la famille indo-européenne ; le néerlandais est un dialecte bas-allemand. Les slavisants reconnaissent dans toutes les langues slaves, à l'exception du bulgare, des dialectes du slave commun. De même les langues romanes sont des dialectes résultant de la fragmentation du latin tardif ou roman primitif, qui s'est manifesté à partir du IIIe siècle après J.-C. c) DIALECTE 3 ou sens sociologique : toute variété linguistique subordonnée à une langue standard dans une communauté linguistique déterminée. Les DIALECTES 1 ou 1 BIS et 2 peuvent être aussi des DIALECTES 3. Cette distinction n'a pas valeur universelle puisque tous les domaines linguistiques ne comportent pas une langue standard. Elle est logiquement secondaire par rapport à la distinction entre DIALECTE 1 et DIALECTE 2. d) DIALECTE 4 ou dialecte des médiévistes (pour mémoire). Il s'agit de langues écrites au moyen âge qui, tout en tendant vers une langue commune, contiennent un certain nombre de particularités régionales, sans toutefois qu'elles représentent la transcription de l'usage parlé régional. Par exemple, le franco-normand, le franco-picard (encore employé par Froissart). En conclusion, la polysémie du terme DIALECTE engendre de nombreuses confusions et en rend de ce fait l'emploi très délicat. On retiendra essentiellement la distinction entre les régiolectes (ou dialectes 1) d'une langue déterminée et les dialectes proprement dits ( ou dialectes 2) apparentés entre eux par une origine commune, que l'on peut de ce fait réunir en groupes ou faisceaux. D'un point de vue interne, les régiolectes tirent leur originalité seulement d'une somme, variable selon les locuteurs, de particularités, surtout de nature phonétique (prononciation, "accent") et lexicale. Au contraire, les dialectes proprement dits présentent un système complet aux points de vue phonétique, morphosyntaxique et lexicologique. Ce système est autonome, tout en étant apparenté à celui des autres dialectes ou langues du même faisceau. "Employé couramment pour dialecte régional par opposition à "langue", le dialecte (il s'agit de DIALECTE 2) est un système de signes et de règles combinatoires de même origine qu'un autre système considéré comme la langue, mais n'ayant pas acquis le statut culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s'est développé : quand on dit que le picard est un dialecte français, cela ne signifie pas que le picard est né de l'évolution (ou à plus forte raison de la "déformation") du français". (DLL 149). 4. Rapport langue - dialecte (DIALECTE 2). Comme on le voit d'après les traits mentionnés en 2.1. et la citation de DLL 149 (ci-dessus), "ce sont surtout des critères sociolinguistiques qui justifient les termes de langue, dialecte, patois,. Linguistiquement, tout parler de groupe est une langue naturelle en tant que moyen de communication socialement accepté". (Pottier 226). Aussi, "il semble scientifiquement préférable de donner le nom de langue à tout ensemble organisé de moyens de communication par la parole. Les différences que nous avons décrites sont des différences de fonction et non de nature, qui se ramènent au croisement de deux oppositions: langue locale et langue supralocale, langue d'activités pratiques simples et langue associée à des activités de niveau plus élevé". (Jean Fourquet, dans Le langage, sous la direction d'André Martinet, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1968, p. 581). C'est cette conception scientifique qui s'exprime dans la définition du terme "langue" dans DL 196-197, reproduite ci-dessus en 2.2. Outre l'aspect scientifique, on ne peut négliger la vision contemporaine propre à un humanisme démocratique, comme le souligne un linguiste de réputation internationale, David Dalby, directeur de l'Observatoire linguistique international, dans un texte daté de 1990: "Le riche héritage linguistique d'une communauté multiple, ou d'une chaîne de communautés, est souvent mieux exprimé en termes de "faisceaux" de langues étroitement reliées, au sein desquelles une langue officielle est la première parmi ses pairs. [...] Une telle approche correspond mieux à la perception contemporaine des cultures et de l'éducation. Elle se justifie historiquement davantage que l'attitude traditionnelle qui a vu des langues-soeurs étroitement reliées rabaissées au niveau de "dialectes" déviants, et considérées comme inférieures à une langue standard favorisée par l'Histoire". 5. Commentaire de l'article "dialecte" de PR 476. "Dialecte. n.m. (1550; lat. dialectus, gr. dialektos). Variété régionale d'une langue. V. Parler. Les dialectes de la Grèce antique (attique, dorien, éolien, ionien). Le wallon, dialecte français de Belgique. Les dialectes normand, picard. Le dialecte de l'Ile-de-France, devenu la langue française". La définition correspond à DIALECTE 1 (cfr. ci-dessus 3.2. a). Les dialectes de la Grèce antique ont des caractéristiques spécifiques, propres à la cultures de ce domaine. Les dialectes gallo-romans cités sont des DIALECTES 2. La formulation "le wallon, dialecte français de Belgique" n'est pas scientifiquement incorrecte mais, rapprochée de la définition donnée, elle risque fort d'être mal interprétée par le lecteur non linguiste. Celui-ci comprendra que le wallon est une variété régionale du français, ce qu'est effectivement le français régional de Liège ou de Bruxelles ou du Sénégal, etc. (DIALECTES 1.). En réalité "dialecte français", dans le contexte de PR 476, signifie que le wallon, comme le normand, le picard, etc., appartient au groupe (ou faisceau) français, dit aussi, de façon moins équivoque, "d'oïl". Le wallon comme on le sait, résulte en effet de la diversification de la "langue d'oïl" à une date très ancienne, les premiers traits différenciateurs étant attesté vers l'an 800, l'individualité linguistique étant acquise au XIIIe siècle. Rappelons la citation de DLL 149, relative au picard mais, bien entendu, applicable au wallon aussi: "quand on dit que le picard est un dialecte français, cela ne signifie pas que le picard est né de l'évolution (ou à plus forte raison de la "déformation") du français. La distinction est donc capitale entre "dialecte DU français" et "dialecte français". Nos "langues régionales endogènes" sont des langues différentes de la langue officielle de la Communauté française de Belgique et non de simples variations locales ou sociales de celle-ci. A ce titre, elles sont justiciables de l' article 1 de la "Charte européenne des langues régionales ou minoritaires". Willy Bal. Professeur émérite de l'Université de Louvain. Membre de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises. Membre du Conseil des langues régionales endogènes En ce qui concerne la notion de culture régionale, il convient d'y voir l'ensemble des créations, des productions et des activités générées, inspirées ou exprimées par la langue régionale. Néanmoins, le patrimoine culturel régional est également constitué par les usages et par les œuvres qui sont l'expression du génie et du tempérament spécifiques des membres de la Communauté humaine régionale. Sur cette question particulière, le Projet est éclairé et enrichi par l'article du Professeur Willy BAL, qui est reproduit ci-après. "La dualité des conceptions fondamentales de la culture crée un malentendu d'une gravité telle qu'il empêche toute discussion fructueuse, même entre gens d'égale information, d'égale honnêteté intellectuelle, d'égale bonne foi. La conception classique situe la culture dans la sphère du savoir et la définit sous la variété des formulations, comme l'ensemble des productions de l'esprit humain (littérature, arts, plus rarement sciences), dont la connaissance et la fréquentation permettent à l'individu de développer certaines facultés de son esprit. Essentiellement intellectuelle, la culture ainsi conçue relève strictement de la seule conscience individuelle : c'est un avoir, qui peut s'acquérir et se développer à des degrés divers, éventuellement en toute indépendance à l'égard des infrastructures. Tel individu ou tel cercle d'individus arrivent à posséder une "vaste culture", une "haute culture", une "culture générale". De ce fait, ils s'opposent nécessairement à des gens "incultes", "dépourvus de culture"; il existerait même des "peuples incultes". Les expressions citées ci-dessus sont tirées de dictionnaires usuels du français. Au contraire, l'anthropologie considère la culture comme la notion "qui tente de désigner ce qui constitue une société en entité cohérente et la caractérise par rapport à d'autres" (G. Thinès et A. Lempereur, Dictionnaire général des sciences humaines, Paris, 1975, s.v° culture). La culture est donc un être ou, plus précisément, un mode d'être au monde, à la nature, à l'homme, une forme de vie. Avec ses valeurs propres, elle agit sur les mentalités, les types de comportements, le savoir-faire, les modes d'organisation sociale. Tout groupe humain est une entité de culture. Tout membre du groupe participe, peut-être à des degrés divers, à cette culture. Ainsi, à une conception intellectualiste, idéaliste et individualiste s'oppose une conception globale, sociale reposant sur des structures formelles ou informelles et témoignent d'une conscience collective. L'anthropologie a très longtemps privilégié les traits culturels dont le pouvoir symbolique est intense et aisément perceptible, tels que les croyances, les coutumes, la langue, les arts (rejoignant sur ce point la conception classique, mais dans une optique différente). D'autre part, les discours sur la culture, d'inspiration classique ou anthropologique, mettent souvent l'accent sur la notion de patrimoine, à sauvegarder, à transmettre. Il n'est certainement pas dans mon propos de sous-estimer l'importance de cet aspect de la culture. Après largement plus d'un siècle de recherches ethnographiques et linguistiques, qui sont loin d'être closes, la tradition populaire wallonne apparaît d'une richesse extraordinaire. Il n'est pas besoin d'en faire ici la démonstration. La défense d'un patrimoine est à la fois essentielle et insuffisante. Car si la culture est globale et collective, elle est aussi dynamique. Elle est en constante adaptation, en mouvement, en évolution. Mode d'être au monde, elle doit en effet prendre en compte les contraintes et les défis que celui-ci ne cesse d'imposer à chaque société. A ce compte, l'histoire devient leçon de vie, marquée qu'elle est de l'empreinte des innombrables défis imposés au peuple et relevés par celui-ci au cours des temps. Or, il est un défi primordial qui nous est lancé depuis près de deux millénaires, un défi permanent qu'exprime notre nom même de Wallons. Ce nom qui, venu d'une peuplade celte et passé bien avant l'ère chrétienne en ancien germanique, a été employé par les Germains, après la romanisation de la Gaule, pour désigner les Romains ou Celtes romanisés habitant le long de la frontière. "Pour les Francs, les Walhoz étaient les Galloromans du nord et de l'est de la Gaule avec lesquels ils étaient en rapport" (Albert Henry, Esquisse d'une histoire des mots Wallon et Wallonie, Bruxelles, 1974). Ainsi un nom germanique est devenu le signe de notre romanité ! Et nos-èstans fîrs d' èsse Walon ! Peuple des marches romanes : tel est le défi fondamental auquel notre peuple n'a cessé jusqu'aujourd'hui de devoir faire face. Tel est aussi le socle de notre identité culturelle. Peuple dont la romanité s'exprime traditionnellement depuis des siècles, par des idiomes, étroitement apparentés mais nettement individualisés, en usage complémentaire. Peuple à qui la seule identité de wallon a valu, il y a cinquante ans à peine, de voir 60.000 de ses fils passer 60 mois derrière les barbelés. Tant d'autres défis ont marqué ou marquent de leur empreinte notre esprit collectif. Défi de la matière, qui a forgé nos "ovrîs sincieûs". Défis de la misère et de l'exploitation capitaliste, qui ont allumé les grandes colères des bassins houillers et industriels et suscité un mouvement ouvrier d'une ampleur et d'une vigueur exceptionnelles en Europe occidentale. Défis de divers pouvoirs étatiques, ecclésiaux, particratiques, qui ont fait s'insurger des hommes comme l'abbé Mathieu, Boussart, Renard, et ont mobilisé des foules à propos de la question royale ou lors des grandes grèves de 1960. Défi méprisant d'une prétendue "intelligentsia", osant parfois se prévaloir d'une francophonie gourmée ou revendiquer une belgitude de plat pays. Défi économique de la colonisation de la campagne et de la forêt wallonnes. Défi politique des violations de l'autonomie communale et du droit des gens. Défis ! Tant de défis auxquels sont confrontés les populations au comportement sans doute trop velléitaire mais "dont la sensibilité politique a toujours été vive et dont l' individualisme foncier (...) s'enracine dans une longue expérience de la liberté" (Maurice Piron, Revue de Psychologie des peuples, XXV, 1, mars 1970). Ces contraintes, ces défis et surtout leurs réactions, qui vont toutes dans le même sens, celui d'une démocratie vécue et sentie comme "réellement le meilleur des régimes possibles" (Thierry Haumont), marquent de leur empreinte les mentalités et les comportements de notre peuple, témoignent d'une conscience collective, définissent la dynamique commune de l'histoire d'un peuple malgré les découpages, assemblages, marchandages intéressés des grands. Conjonction d'un patrimoine qui inclut évidemment toutes les productions de l'esprit et d'un mouvement vital, d'appartenances et de choix, présentant un ensemble intégré de traits spécifiques (pas nécessairement exclusifs) tout cela donne consistance à notre "ici" (pour reprendre le mot de José Fontaine), fonde notre identité wallonne, compose notre culture wallonne. Passéisme ? Campanilisme ? Tant les sciences naturelles que les sciences humaines nous enseignent que la diversité est le terreau de l'évolution, le ferment du dynamisme, alors que l'uniformité est stérilisante. Certes, les problèmes de demain auront-ils toujours une plus grande dimension géopolitique, éthique, technique. Mais le moment n'est-il pas venu de "se préoccuper de notre environnement immédiat tout en luttant pour sauver la couche d'ozone" ? Notre environnement immédiat, ce sont les dépotoirs du Brabant Wallon, la pollution de nos eaux, mais aussi les menaces qui pèsent sur notre culture "Notre défi est donc le réenracinement dans le local tout en nous occupant des enjeux planétaires" (C'est moi qui souligne : les propos cités ont été tenus récemment par le Philosophe français Jean Chesneaux, auteur de Modernité - Monde, Paris, 1989). Nous voulons doter la culture wallonne d'un statut qui la reconnaisse, la légitime, la promeuve en incitant les Wallons à une plus profonde enculturation. Ce statut devra aussi stimuler la création, favoriser l'adaptation, l'évolution - qui ne peut être que d'ouverture en ces temps d'interculturalité. Bref, un statut qui ait à la fois la solidité d'une assise et le ressort d'une dynamique. Un statut pour notre culture propre, c'est pour nous la voie obligée, la voie royale pour une Wallonie région d'Europe en devenir et déjà membre à part entière d'une authentique Francophonie des âges nouveaux, telle que la conçoit l'aile marchante de celle-ci : une Francophonie vouée à l'alliance des langues et au dialogue des cultures." |
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